
Quelque part en Méditerranée, photographie personnelle
S'il est un chromosome vers lequel les méandres de l'hérédité portent ma curiosité, au sein de cette surprenante mosaïque que forment les différents peuples dont descendent les Languedociens, c'est bel et bien le dix-huitième qui, sans être le plus long, et sans même que sa connaissance puisse être éclairée par un grand nombre de correspondances, dénote particulièrement. Lors des précédentes recherches, nous étions partis d'une source historique proposant une description de cinq peuples établis dans le Languedoc au VIe siècle afin de la confronter aux renseignements génétiques fournis par la reconstitution généalogique de trois chromosomes hérités des familles Bourrel et Bonnet, ce qui nous conduisit à corroborer partiellement l'identité de ces cinq peuples dans le cadre du matériel génétique dont nous disposions. Alors que ce chemin abordait les énigmatiques pages de l'Histoire sous l'angle génétique, le chromosome dix-huit est l'occasion d'effectuer la démarche inverse : dans quelle mesure l'originalité de ce chromosome nous permet-elle de saisir les traces laissées par quelques faits particuliers de l'histoire languedocienne ? Piste autrement sinueuse qui, espérons-le, à l'ombre d'un figuier entouré de vignes et d'oliviers, viendra éclairer la connaissance qui est la nôtre de l'étendue des possibilités ouvertes par les croisements, multiples, de la généalogie et de la génétique, des vestiges des siècles passés et des innovations de l'actuel. Et nous fera voguer entre les rives de la Méditerranée, jusqu'à mon héritage génétique paternel sur le treizième chromosome, interrogeant au passage la Méditerranée comme l'espace propice à la naissance d'identités singulières partageant des origines de fond communes.

Représentation du chromosome 18 issu de Pierre-Antoine Bourrel, arrière-grand-père - Eurogenes K36 - Gedmatch
Cette représentation de mon dix-huitième chromosome maternel est un outil de visualisation graphique des origines estimées à partir des polymorphismes nucléotidiques, qui sont, pour simplifier, des variations d'une paire de base dont un certain seuil de présence permet de comparer la séquence génétique d'un individu à celle considérée comme référence. Les calculateurs se servent de ces variations connues pour les rattacher à une population plus précise. Chaque calculateur dispose de ses propres populations de référence, mais aussi, et c'est sur ce premier point que diffère la démarche de cette recherche par rapport à la précédente, d'une moyenne des résultats obtenus par les habitants d'une multitude de pays et d'ethnies. Si les données génétiques étaient des lettres méconnues, alors ces indications de référence constitueraient la première ébauche d'un alphabet. Les deux-tiers de mon dix-huitième chromosome maternel proviennent de mon grand-père, et la correspondance que nous partageons avec la cousine de ma mère relie ce chromosome à Pierre-Antoine Bourrel, grand-père paternel de ma mère. Ma grand-tante a hérité sur ce chromosome de segments issus de sa grand-mère paternelle, différents des nôtres, ce qui précise notre objet de recherche. Ma mère dispose quant à elle de deux autres correspondances importantes issues de ses ancêtres paternels sur ce chromosome : l'un, nommé Boulbès, dont l'ascendance nous demeure inconnue bien que ce nom apparaisse en quinze occurrences parmi les ancêtres de mon grand-père au XVIe siècle, et l'autre, que l'on appellera TC, qui partage avec nous 31.8 cM d'ADN. Ces deux segments se suivent pour n'en former précisément qu'un, équivalent au tiers du chromosome pour 16 640 SNP. La première fouille consiste ainsi à retrouver le lien généalogique entre le grand-père de TC, et les ancêtres paternels de Pierre-Antoine Bourrel, mon arrière grand-père maternel.

Ce qui fut cette fois d'une relative simplicité, ayant préalablement reconstitué l'ascendance de notre correspondance. Il existe bien un lien généalogique entre les ancêtres paternels de Pierre-Antoine Bourrel et ceux de notre correspondance, par Jeanne Boulbès (1698-1767), qui épousa au printemps 1723 Pierre Danjou (+1765), dont mon grand-père descend à la huitième génération. Pierre Danjou descendait de la même famille que le Capitaine Danjou, et c'est une autre histoire que je vous raconterai un jour. Jeanne Boulbès avait un frère, Jean-Pierre (1706-1776) dont la fille, elle aussi nommée Jeanne Boulbès (1745-1819), est l'ancêtre du grand-père de notre correspondance. Les Languedociens ont par moment l'esprit distrait, et nous allions oublier que notre autre correspondance, sur ce dix-huitième chromosome, se nomme par un heureux hasard, elle aussi, Boulbès. Si malheureusement nous ne disposons d'aucun renseignement plus précis sur son ascendance, cette concordance pour le moins inopinée des noms reste un élément intéressant.
Filiation entre J. Boulbès et P. Bourrel
Jeanne Boulbès épouse Danjou, notre ancêtre, et son frère Jean-Pierre, naquirent du mariage de Barthélémy Boulbès et de Jeanne Segui, tous deux descendants de familles anciennement présentes dans le Languedoc audois et les contreforts pyrénéens. Avant de nous pencher sur leur ascendance, attardons-nous quelque peu sur les renseignements apportés par le dix-huitième chromosome, qui vient orner d'une note orientale plus prononcée l'énigmatique mosaïque de nos gènes. J'ai, sur ce chromosome, hérité à hauteur de 62.2% de mon grand-père maternel. En utilisant la technique du phasing, qui à partir de mes données, de celles de mon père et de celles de ma mère, sépare les miennes en deux afin que je puisse analyser séparément mes héritages génétiques paternel et maternel, j'ai fait appel à plusieurs calculateurs parmi ceux que proposent Eurogenes, MDLP et, dans le présent cas, Dodecad. Eurogenes évalue l'ADN oriental, dans une définition très large qui englobe le Proche-Orient, l'Afrique du Nord, la Perse et l'Arabie, à 57.5% (K13), 56.4% (V2K15), 53% (K9) ; MDLP à 40.1% (World 22) et 43.5% (MDLP) ; Dodecad, davantage conseillé aux personnes ayant des origines nord-africaines, à 51% (K7b) et 52.9% (World 9). Soit une moyenne de 50.62% sur les 62.2% hérités de mon grand-père maternel, que viennent renforcer les mêmes analyses effectuées à partir des données de ma mère. Cette estimation large reste pour autant imprécise à mes yeux, et il me semble intéressant de l'approfondir en utilisant les spreadsheets, puisque la page qui proposait les cartes chromosomiques n'est plus accessible depuis quelques mois. Les spreadsheets sont les tableaux indiquant la moyenne des résultats par pays et par ethnies. Ils reflètent une dynamique globale, et représentent plus encore une base de comparaison. Pour simplifier, c'est ce que font les principales entreprises de tests ADN lorsqu'elles fournissent des estimations globales - soixante-sept pourcents ibérique sur My Heritage signifient que votre héritage génétique correspond à hauteur de soixante-sept pourcents à leurs composantes de référence pour la population ibérique. L'originalité de mon approche tient au fait d'appliquer cette méthode non pas à l'ensemble de mes chromosomes, car mes quatre grands-parents ont des origines différentes, mais à des segments phasés et généalogiquement identifiés.

Ascendance de Jeanne (1698-1767) et de Jean-Pierre Boulbès (1706-1776)
Ces estimations orientales comprennent selon les calculateurs trois à quatre composantes. La plus remarquable, celle qui dénote fortement, est la Red Sea, ou mer Rouge, qui se réfère à la péninsule Arabique, aux Arabes dans le sens originel du terme, estimée pour mon dix-huitième chromosome maternel entre 25.3 et 27.4%, alors que la moyenne mondiale de cette origine n'est que de 3.3% selon le spreadsheet de Eurogenes K13. L'Espagne et la Grèce ne dépassent pas le seuil de 5%, l'Italie du Sud et Chypre atteignent au maximum 6 à 8%. Les Algériens 15.84%, les Libanais 12%, les Marocains 15.66%, les Berbères environ 17%, les Palestiniens 16%, les Séfarades 8.9% et les Égyptiens 18.84%. Seules sept populations sont situées au-delà des 20% de composante Red Sea, à savoir les Bédouins 21.4%, les Éthiopiens Amharas 26.79%, Omoros 21.12% et du Tigré 26.26%, les Somaliens 24.66%, les Saoudiens 34.19% et les Juifs Yéménites 28.49%. Autrement dit, sur son dix-huitième chromosome paternel, nos ancêtres Bourrel et Boulbès ont autant de composante Red Sea que l'auraient des Arabes saoudiens ou des Juifs yéménites. La rareté d'un tel seuil de cette composante, et sa récurrence sur l'ensemble des calculateurs pourtant spécifiques pour certains, nous permettent d'observer qu'il y a une origine arabique dans l'héritage génétique de Jeanne Boulbès. Cette composante Red Sea n'est pas arrivée seule sur ce chromosome, où sont par ailleurs estimées, entre 23.9 et 27.2%, une composante West-Asian, que l'on retrouve en Turquie et en Iran, et une autre, de 2.8 à 6.7%, North-African. Un dix-huitième chromosome à consonance orientale, en somme.
Puisque nous évoquons les consonances, arrêtons-nous un instant sur l'ascendance de Jeanne Boulbès. Est-il possible de retrouver parmi ses ancêtres des indices qui nous orienteraient vers une piste pouvant expliquer ces origines arabiques ? Trois noms me semblent intéressants. En premier lieu : Segui. Je sais que ce nom passe pour être la prononciation "occitane" de Seguin, avec une lointaine provenance wisigothique (sig et win, bien éloignés de Segui), mais rappelons qu'en arabe, seguia (الساقية : al-sāqiyah) désigne un système d'irrigation ancestral destiné à préserver l'eau. De ce terme arabe découlent acequia en espagnol et son équivalent catalan séquia. Je sens d'ores et déjà l'ire des occitanistes, mais continuons.

La Séguia, H. Guérard et G. Guillaumet, Estampe - BNF, Lien
Auriez-vous noté le deuxième nom dont la consonance peut évoquer l'Orient, parmi ceux figurant dans l'ascendance de Jeanne Boulbès ? Ce nom n'est autre que Gibel, nous provenant de Guilhalme Gibel, arrière-grand-mère de Jeanne Séguy, qui vécut au XVIIe siècle sur les hauteurs de Roquefeuil. Il pourrait se référer au village éponyme, Gibel, sur l'étymologie duquel se formerait un consensus pour évoquer les Sarrasins et le terme djebel, issu de l'arabe جبل (jabal), désignant une colline ou une montagne. Je reste pour autant moins convaincu par l'hypothèse de ce deuxième nom. Il peut simplement indiquer que l'ancêtre qui le portait était originaire de Gibel, village pour lequel il faudrait étudier la génétique des familles qui en sont anciennement originaires afin de vérifier s'il existe des preuves génétiques de la présence sarrasine. C'est bel et bien le troisième nom envisageable, Boulbès, qui retient mon attention. Plusieurs personnes d'origine nord-africaine m'ont fait remarquer que ce nom ressemblait à ceux que l'on trouve sur l'autre rive de la Méditerranée, de laquelle nous sommes, dans le Languedoc, plus proches que de la France septentrionale. Et Boulbès, qui est un nom particulièrement présent dans ces contrées de l'arrière-pays languedocien, et que l'on retrouve en quinze occurrences dans l'ascendance de mon grand-père au XVIe siècle, toutes localisées dans le même village, ne semble guère avoir d'étymologie connue. Singularité, barbarisme ? Le fait est que notre autre correspondance porte également ce nom qui est le point commun des principales correspondances génétiques que nous avons sur ce dix-huitième chromosome.

Ces réminiscences orientales nous invitent à voguer vers les autres rives de la Méditerranée sur les traces des descendants de la famille Boulbès. Il en est un, Antoine Cabanié, qui m'a plus particulièrement intéressé. Son père, Dominique Cabanié (1783-1860), était le petit-fils de Marie Danjou (1730-1770) et l'arrière-petit-fils de Jeanne Boulbès, tandis que sa mère, Marie Boussioux, était la fille d'Izaac Boussioux et de Marie Maugard. Frère de Brigitte Cabanié (1813-1854) et par conséquent grand-oncle maternel de Jean Bourrel, il partit très jeune pour l'Algérie, et vécut à Annaba avant même la départementalisation de l'Algérie qui eut lieu en 1848. Il mourut à Alger en janvier 1843. Je me suis souvent demandé ce que ce jeune homme natif de Villefort avait pu voir de cette Algérie authentique dont il ne repartit pas.
Darse du port, Annaba, V. Leloutre, Travaux maritimes - BNF, Lien
Il n'est qu'un parmi les nombreux membres de ces familles que l'on retrouve en Algérie. Le beau-frère de Brigitte Cabanié, Pierre Huillet (1812-1888), fils de Baptiste Huillet et de Marie Mario, et également grand-oncle maternel de Jean Bourrel, vécut quelque temps en Algérie. Lui aussi à Annaba. Située à une centaine de kilomètres de la Tunisie, et à deux-cents, à vol d'oiseau, de la Sardaigne, l'antique Hippone, qui fut l'une des cités les plus fastueuses de l'Afrique proconsulaire romaine, est connue pour être la ville des Jujubiers, du nom de cet arbuste, que l'on trouverait aussi dans le Sud de la France, et dont le fruit est réputé pour ses vertus médicinales. Le Maghreb et l'Orient, dans leur sens large, celui qui les fait s'étendre le long des rives méridionales de la Méditerranée, ne sont jamais très éloignés du Languedoc. L'on s'amusera à en repérer, dans les archives languedociennes, quelques évocations : l'ancêtre maternel de Brigitte Cabanié, Antoine Blanché (1673-1743), était en son temps surnommé le Moret. Et Jean Bourrel, lui, petit-fils de Brigitte Cabanié et grand-père de mon grand-père, se vit affublé du surnom El Mascare, qui pourrait faire écho à ses origines, que le quatrième chromosome a également pu souligner lors nos précédentes recherches. Les descendants del Mascare comme ils se surnomment devraient être renommés descendants del Mauro...

Alger, 1845-1853, A. Humbert - BNF, Lien
Notons enfin que plusieurs hommes de la famille Boulbès, descendants de Juan Boulbès et de Jeanne Lantas, reçurent le surnom Frisat qui semble indiquer une chevelure frisée. Il ne faut y voir aucune sorte de préjugé puisque j'ai moi-même ces cheveux épais et frisés que l'on voit en de nombreux coins de la Méditerranée. La coïncidence est amusante, une nouvelle fois. Remarquons par ailleurs que la famille Boulbès apparaît parmi les ancêtres de mon arrière-grand-mère Marie-Vincentine Bonnet, elle-même arrière-petite-fille de Magdeleine Boulbès (1808-1865), descendante d'une autre branche de cette famille. Les Boulbès eurent une descendance fort nombreuse, de sorte qu'il est possible de les ériger, pour cette partie du Languedoc, au rang d'ancêtres fondateurs, ce qui pour autant ne signifie pas que leur génétique s'intègre dans un fond de peuplement historique. L'on retrouve des Boulbès, au XIXe siècle, à Oran, Tlemcen, Blida, Bouira, et même plus à l'intérieur des terres, à Tébessa. Ces éléments esquissent les contours du patrimoine immatériel de ces familles languedociennes, que l'on aperçoit tel un mirage se profiler à l'horizon des dunes d'un désert où chaque grain de sable est un destin, et chaque dune une année, un siècle. Pour autant, l'origine des ancêtres qui nous ont légué cet héritage arabique certain restent mystérieuses. Lorsqu'une piste s'égrène, que le sable et la poussière des siècles en recouvrent les traces et le sillon, en emprunter une autre peut s'avérer fructueux, et nous mener jusqu'à l'oasis tant espérée de la connaissance.

Représentation de mon chromosome 13 paternel - Eurogenes V2 K15 - Gedmatch
J'ai encore peu évoqué les données génétiques dont mon père et moi disposons sur nos ancêtres car les correspondances sont bien moins nombreuses que pour mes ancêtres maternels, et l'identification généalogique des chromosomes s'en trouve complexifiée. Néanmoins, sur le treizième chromosome, mon père partage avec les descendantes d'une tante paternelle de sa grand-mère maternelle Fernande Jacquin, dont les ancêtres sont originaires de Picardie, un segment considérable s'élevant à 30 000 SNP pour 52.2 cM. N'ayant pas hérité de ces segments issus des ancêtres maternels de mon père, j'en ai par élimination déduit que je tenais ce chromosome treize des ancêtres paternels, génétiques, de mon père, qui nous mènent en Italie centrale. Par l'association de la la technique du phasing et des outils de visualisation des origines estimées j'ai pu obtenir cette représentation où il est possible de discerner, en vert, une composante est-méditerranéenne, en olive une composante ouest-méditerranéenne, en vert clair une composante ouest-asiatique et en orange une composante européenne. Les résultats sous forme de chiffres proposés par Eurogenes V2K15 montrent la prépondérance, visible sur la représentation graphique, de la composante est-méditerranéenne qui, à elle seule, occupe 43.5% de mon chromosome paternel, alors que la moyenne mondiale est située aux alentours de 9%. Elle est trouvée en Europe méridionale chez les Grecs 23.47%, les Italiens du Nord 15.83%, les Sardes 17.48%, les Italiens du Sud 29.55%, les Serbes 12.18%, les Bulgares 16.27%, les Roumains 14.13%, les Séfarades 33.88%, les Français méridionaux et les Espagnols 6 à 11%, les Toscans 20.77% et chez les Chypriotes à 40.16%. Il n'y a pas de données pour les Maltais ni pour les Macédoniens. On la retrouve également en Orient : les Arméniens 35.14%, les Chrétiens d'Orient 39.99%, les Juifs azéris 38.02%, les Bédouins 38.46%, les Égyptiens 39.22%, les Juifs géorgiens 36.67%, les Iraniens 31.19%, les Jordaniens 41.4%, les Kurdes 32.41%, les Libanais chrétiens 47.37%, les Druzes 50.09%, les Libanais musulmans 39.85%, les Palestiniens 44.7%, les Samaritains 45.51%, les Arabes saoudiens 44.04%, les Syriens 38.31%, les Turcs 28.8% et les Yéménites 54.11%. La composante est-méditerranéenne semble intimement liée aux peuples levantins, aux contrées de cultures grecques et byzantines. Avec nos 43.5% est-méditerranéens nous nous situons quelque part entre ces nombreux peuples qui s'affrontent, se mélangent et se confrontent depuis des siècles autour de cette mer. C'est pour cette raison que j'ai orienté la suite des fouilles dont cette recherche est le cadre privilégié vers mon chromosome treize paternel, car sa dynamique est similaire à celle que l'on observe sur mon chromosome dix-huit maternel pour lequel, souvenez-vous, nous retrouvions entre 25.3 et 27.4% de composante mer Rouge. A noter, cependant, que la composante est-méditerranéenne et la composante mer Rouge ne sont pas les mêmes.
Mon père et moi n'avons qu'une seule correspondance sur ce treizième chromosome paternel, un italien que l'on appellera MZ avec lequel je partage 20.2 cM soit 0.3% d'ADN commun, sur le deuxième, le treizième et le vingt-et-unième chromosomes, pour 6143 SNP. Les ancêtres de MZ, d'après son arbre généalogique, sont originaires de Rome et de l'Italie centrale. Un nom, Benedetti, m'est plus particulièrement familier, mais en l'état actuel des recherches généalogiques il nous sera difficile d'aller plus loin, au risque de nous égarer au milieu des dunes et de ne plus retrouver nos pas. L'Italie centrale, qui comprend l'Ombrie, les Marches, le Latium, la Toscane et les Abruzzes, est caractérisée, génétiquement, par des taux d'origines est-méditerranéennes et orientales plus élevés que partout ailleurs en Europe, à l'exception de Chypre et de la Grèce.

Arc de Constantin, an 315, Roma, photographie personnelle
Arrivés à ce point, nos pistes s'égrènent jusqu'à devenir indiscernables. Le chromosome dix-huit que j'ai hérité de ma mère, généalogiquement reconstitué, a une composante arabique plus élevée que celle des Bédouins. Le chromosome treize que j'ai hérité de mon père, quant à lui, n'est pas généalogiquement reconstitué, ou du moins fort peu, et pourrait être celui d'un Libanais, d'un Jordanien ou d'un Chypriote. Si, tant pour le Languedoc que pour l'Italie centrale, des explications historiques peuvent être trouvées, nous ne sommes pas encore parvenus à préciser, à un degré plus restreint que celui des composantes orientales fournies par les calculateurs, les origines des ancêtres concernés. Aussi, puisque chacune des composantes principales (Red Sea pour le dix-huitième, East Med pour le treizième) ne suffit à apporter ces précisions, il me semble judicieux de dresser des profils, et de les comparer aux modèles déterminés à partir des Spreadsheets, afin d'observer similitudes et différences. Démarche qui nécessite préalablement d'harmoniser les calculateurs en sélectionnant le même pour les deux chromosomes étudiés. J'ai choisi Eurogenes K13, considéré comme l'un des plus fiables, et qui est celui que nous avions utilisé pour mon chromosome dix-huit maternel. Pour mon chromosome treize paternel, il donne sensiblement les mêmes estimations que le V2K15, avec une composante est-méditerranéenne qui passe de 43.5 à 44.9%, une composante centre-sud-asiatique, perse, de 8.5%, une composante ouest-asiatique de 6.2%, et une composante ouest-méditerranéenne, dont la référence est la Sardaigne, de 13.1%. Dresser un profil pourrait orienter notre piste entre l'olivier, la vigne, les figuiers et les jujubiers.

Afin d'établir ces différents profils dont les dynamiques sont comparées simultanément, et d'en tirer des observations lisibles, j'ai effectué ces graphiques bien que je sois peu friand de ce type de documents et leur préfère les textes. Ils présentent, pour nos fouilles, l'intérêt d'être synthétiques. Mon chromosome treize paternel culmine en est-méditerranéen, surpassant même les Jordaniens et les Arabes saoudiens, qu'il rejoint pour les autres composantes à l'exception de Red Sea. Mon chromosome dix-huit maternel, quant à lui, dénote par l'absence de composante est-méditerranéenne et par la présence d'une composante baltique.
Dynamiques comparées - C13p, C18m, et Orient - Eurogenes K13
J'ai répété ce procédé visuel en établissant cette fois les profils des Juifs Ashkénazes et Séfarades. Mon chromosome treize paternel suit les mêmes dynamiques, tout en conservant son maximum en est-méditerranéen. Mon chromosome dix-huit maternel, en revanche, ne coïncide guère : outre son absence de composante est-méditerranéenne, il dénote par une proportion deux à trois fois plus élevée de composante Red Sea (arabique péninsulaire) et par un apport baltique deux fois plus élevé également. J'ai réalisé deux autres exemplaires de ces procédés avec les autres populations orientales précédemment mentionnées.

Dynamiques comparées - C13p, C18m, et Juifs - Eurogenes K13
De ces pistes sinueuses qui se suivent sans pour l'instant converger j'ai tiré les hypothèses qui suivent :
- mon chromosome treize paternel s'intègre dans un cadre historique, celui de l'Italie centrale, particulièrement des villes de Gubbio et de Perugia, dans lequel la présence de populations grecques, orientales et juives converties est avérée, de l'Antiquité jusqu'à la Renaissance, avec la venue de communautés de marchands en provenance d'Orient. Il s'agit donc d'une composante de fond, ce qui explique que le profil de mon héritage génétique paternel sur ce chromosome suive la même dynamique que celui des différentes populations orientales desquelles pouvaient être issus ces marchands installés, particulièrement, dans les cités marchandes ombriennes qui nous concernent.
- mon chromosome dix-huit maternel diffère des profils établis en trois points qui ne pourraient être que deux. Le premier est l'importance systématique de sa composante arabique, qui nous permet d'affirmer qu'il y a indéniablement une origine arabe péninsulaire sur ce chromosome de la famille Bourrel. Néanmoins, il n'est retrouvé aucune origine est-méditerranéenne, c'est à dire orientale hors Arabie péninsulaire, et en lieu et place, une composante baltique qui fait figure d'exotisme, tel un épicéa égaré entre oliviers et jujubiers. Il se semble pas s'agir d'une population juive car le profil de ce chromosome ne correspond ni à celui des Ashkénazes, ni à celui des Séfarades. Deux paradoxes qui n'en sont peut-être bien qu'un : le segment baltique pourrait être le fruit d'une recombinaison, en d'autres termes, s'être incorporé à ce chromosome au fur et à mesure des générations, être bien issu des ancêtres maternels de Jean Bourrel, de ceux de Jeanne Boulbès, mais n'avoir aucun rapport avec ce large segment arabique. Il pourrait correspondre aux 12% manquants pour, à partir de la moyenne de 50% d'origines orientales larges, atteindre les 62.2% hérités de mon grand-père maternel sur ce chromosome. Le fameux reste qui n'est pas négligeable. Il pourrait aussi avoir supplanté un segment est-méditerranéen. Si l'on observe la représentation de mon chromosome treize paternel, l'on constate que les composantes se suivent sans forcément se chevaucher. J'ai à plusieurs reprises pu observer un tel phénomène sur mes chromosomes paternels et maternels, particulièrement les derniers qui sont moins longs : une large partie peut être issue d'un même ancêtre, et se trouver entrecoupée d'un segment différent issu d'un autre ancêtre. Aussi, compte tenu de la rareté d'un tel seuil de composante Red Sea en dehors de l'Arabie Saoudite et du Yémen, plus élevé même que ce qui est connu pour les Bédouins, l'on peut penser qu'il provient d'une famille ou d'un ancêtre particulier. Qu'il s'agit, en somme, d'une singularité, dont la descendance dans le Languedoc audois est cependant nombreuse. Il peut, sans être un fond de population, constituer une signature génétique de ces familles.
Plus généralement, et pour simplifier ces pistes sinueuses qui pourraient en égarer plus d'un : mon chromosome treize paternel est hérité d'Italiens centraux, pour lesquels les apports grecs et orientaux sont considérables. Il présente une origine est-méditerranéenne très élevée sans que l'on puisse réellement identifier le peuple précis qui lui correspond, mais qui s'explique historiquement par la présence spécifique dans les villes qui nous concernent de marchands venus d'Orient. Mon chromosome dix-huit maternel est hérité de familles languedociennes anciennes, devenues récurrentes dans les généalogies locales par leur nombre d'enfants, et présentant des noms à consonance arabique. L'on remarque une composante Red Sea, correspondant à la péninsule Arabique, qui est une singularité car huit à dix fois plus élevée que la moyenne. Mais aussi l'incorporation d'un segment baltique en lieu et place la composante est-méditerranéenne caractéristique des populations orientales. De sorte que ce chromosome, certes aussi arabique que les Arabes d'Arabie, ne corresponde à aucun modèle particulier sinon celui que Jeanne Boulbès a légué à ses descendants. Il ne découle pas d'une population de fond mais constitue une singularité transmise dans la descendance. L'un et l'autre sont orientaux dans les mêmes proportions, mais pas de la même façon, l'un s'intègre dans la grande histoire, l'autre illustre la petite, l'un ne fait que souligner ce qui est déjà connu pour l'Italie centrale, tandis que l'autre ravive l'identité méditerranéenne du Languedoc que beaucoup tentent de faire oublier.
Cette démarche, qui diffère en de nombreux points de celle adoptée lors la recherche de la semaine dernière qui partait d'une description formulée par des historiens pour en nuancer les éléments, nous mène également à questionner ce qu'est l'identité méditerranéenne, et les formes que revêtent ses résonances. Elle nous montre qu'une théorie historique unique comme celle des cinq peuples ne suffit à refléter l'enchevêtrement d'histoires et de trajectoires complexes dont nous sommes issus. Nous sommes passés du Languedoc à Annaba, de Rome à l'Italie centrale, de la Méditerranée romaine à l'Arabie en faisant escale dans les contrées grecques et levantines. Nous avons abordé les trois composantes géographiques de la Méditerranée que sont les îles, souvent prises pour références génétiques (la Sardaigne, Chypre), le littoral, où se croisent et s'entrecroisent les peuples, où les uns débarquent et duquel les autres s'en vont, et l'arrière-pays, cet espace partant du littoral, et s'étendant jusqu'aux contreforts des montagnes et prémices des déserts, où les singularités se forment. Arrière-pays que la descendance quitte pour rejoindre les littoraux, et ainsi de suite, dans un éternel recommencement. D'un point de vue génétique, l'identité méditerranéenne semble se fonder sur la présence, au sein de plusieurs chromosomes, de composantes ouest-méditerranéennes et est-méditerranéennes en de fortes proportions, atteignant pour mon héritage génétique paternel comme pour le maternel les seuils maximums incarnés par les populations des îles de la Méditerranée. A ces composantes strictement méditerranéennes s'ajoutent d'autres, complexes et partielles, qui résultent d'un mélange de fonds de peuplement de la grande histoire et des singularités de la petite histoire, en des proportions que seule la génétique et ses hasards articulent, bouleversent et transmettent. Cet héritage génétique est à la fois immatériel, intangible, mais s'exprime aussi concrètement.

Cartographie cytogénétique du chromosome 13 - NIH
Cet héritage ancestral, ces estimations que les calculateurs déterminent à partir des SNP, la rencontre des ces innombrables histoires et trajectoires que nous portons en nous, nous accompagnent sur les chemins et pistes que nous suivons. Loin de moi l'idée d'improviser, après de telles fouilles, un développement sur la génétique. Je me contente simplement de prendre un segment du chromosome treize, et de citer quelques caractéristiques sur lesquelles il influe partiellement, car la génétique est une mosaïque complexe que les scientifiques explorent peu à peu : le sommeil, la perception du goût de certains poissons, de la viande d'agneau et de porc, la morphologie du visage, notamment du menton, l'usure des dents, le microbiote intestinal, l'appréciation de la cuisson des aliments, l'hyperactivité, l'insuline, le fait d'être matinal ou non, la mesure des lipides, la couleur des cheveux, le raisonnement verbal, les variations d'humeurs, la masse ventriculaire, la longueur des télomères ou encore le temps de réaction... Autant de résonances que revêt cet héritage génétique, bien que la génétique s'exprime aussi en fonction de l'environnement. Qui de Jeanne Boulbès ou de l'italien oriental n'était pas matinal ? Nous ne pouvons le savoir. Les deux, ou aucun séparément, car l'héritage génétique résulte de la rencontre de chacune de ces histoires. Aussi, certains pensent que l'héritage ancestral n'a pas d'importance, que tout est un fait social. Je me permets de penser autrement : un jour un physionomiste mentionna à mon père, sans connaître ses origines, qu'il avait le nez grec. Chose que la génétique est venue confirmer. J'ai le nez grec aussi. Serait-ce un hasard ? Ceux qui me connaissent savent que j'écoute des musiques orientales tous les jours. Encore une caractéristique influencée par l'héritage génétique. Tout n'est pas question de goûts dictés par l'environnement. Et puisque l'on parle de goûts, mon grand-mère maternel n'aimait pas tant le poisson, ni les légumes. Selon la génétique, c'est de lui que j'ai hérité les prédispositions à ces goûts. Je puis vous confirmer avoir les mêmes goûts alimentaires, sans que cela résulte d'une construction sociale. Conclusion quelque peu prosaïque, mais légère après de telles fouilles, aux croisements de l'histoire, de la généalogie et de la génétique, que je me plais à aborder librement, sous une perspective ou une autre. Il va de soi que cette approche sort des sentiers battus, mais c'est précisément le principe de Otras Historias, et pour l'heure le croisement de la généalogie et de la génétique m'a permis d'effectuer de nombreuses découvertes, et de retrouver une page entière de l'histoire des ancêtres que mon père et moi avons en Italie. Enfin, l'ayant déjà précisé lors de la précédente recherche, ces données sont l'exclusive propriété des membres de notre famille, et toute réutilisation des informations présentes dans cet article doit faire l'objet de notre explicite consentement.

San Gimignano, Italia, photographie personnelle
La généalogie et la génétique sont ces deux énigmatiques tours qui se font face et entre lesquelles il faut emprunter le passage... Les chromosomes paternels et maternels le sont aussi, en quelque sorte, et mon héritage génétique est lié aux deux. Enfin, l'identité méditerranéenne repose sur les rencontres et les confrontations de deux mers qui n'en sont qu'une.
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Commentaires
magnifique article